Le blog [1] de Robert Scoble aux États-Unis a relayé le concept émergent de curation qui a décollé début 2010. Néanmoins, il est légitime se demander s’il ne s’agit pas d’un buzzword ou d’un phénomène de mode.
Curation est un terme qui provient de l’anglais « curator » qui désigne tout conservateur d’un héritage culturel (conservateur de musée, bibliothécaire, etc.). Celui-ci rassemble et organise divers éléments d’une même collection pour lui donner du sens et mieux la diffuser au public.
La curation désigne l’art de collecter, de choisir, d’organiser et de partager tous types d’information (textes, liens, images, photos, vidéos, sons) recueillie sur le Web sur une thématique donnée pour en faire une agrégation concise et porteuse de sens soit pour information soit pour éclairer une décision.
La pratique de la curation n’est en effet pas, à proprement parler, nouvelle. Flux RSS, signets sur Del.icio.us, blogs, micros-blogs, réseaux sociaux permettent déjà d’organiser et de diffuser l’information.La sélection et le partage existaient déjà avec ces outils du Web 2.0. La nouveauté réside plus dans le processus d’éditorialisation où le curateur va adjoindre un commentaire, un avis, un résumé ou repaginer, contextualiser, ajouter des mots clés. Ceci est permis grâce à la massification des usages et à des outils spécifiquement apparus pour la curation. En outre avec les réseaux sociaux, on est passé d’une recherche d’information des moteurs (où l’on sait ce que l’on cherche) à un suivi des fils d’information (newsfeed de Facebook, timeline de Twitter).
En effet, les seuls moteurs de recherche ne permettent pas de trouver du contenu très pertinent – l’influence primant la pertinence – sur une thématique donnée à moins d’opérer par plusieurs itérations successives. Aussi, le retraitement humain pour le choix et la sélection, porteur de sens, permet d’organiser les contenus glanés sur le Web 2.0.
Le curateur présente des similitudes avec bon nombre de fonctions sur le web : le documentaliste, le veilleur, le gestionnaire de la connaissance, le blogueur, le journaliste ou encore le Community manager. Il s’en distingue notamment par un objectif différent. Il s’agit au départ d’un passionné sur des thématiques précises par rapport à ses centres d’intérêt et son souhait de partage avec sa communauté. Il profite des opportunités induites par les réseaux sociaux : rapidité de diffusion, choix de ses contacts et de ses sources, possibilité de repérer des signaux faibles. Il va réutiliser des contenus existants qu’il aura lui-même choisis.
Le curateur travaille différemment car il effectue un travail d’édition des contenus de façon à les présenter de façon cohérente en éditorialisant et contextualisant ce qu’il a collecté.
Le curateur répond au développement de la recherche sociale (faire découvrir à sa communauté ce qu’il aime ou ses centres d’intérêt – les choix restent subjectifs et personnels – en étant un facilitateur vis-à-vis de ses contacts) et au jugement critique face aux professionnels de l’information consacrant le 5e pouvoir cher à Thierry Crouzet. Chaque internaute endossant ce rôle de curateur préfère effectuer le travail lui-même de filtrage de l’information et être acteur. En choisissant ses contacts, on choisit aussi ses thèmes d’intérêt et les informations qui pourront potentiellement être relayées. Partager des liens ou desinformations intervient également selon le sociologue Dominique Cardon dans la construction de son soi numérique et à un degré moindre dans le développement de l’ego. Il s’agit ni plus ni moins d’une démocratisation de l’activité éditoriale qui prolonge le journalisme citoyen en étant plus rapide à mettre en œuvre.
Pour effectuer de la curation, il suffit d’un lecteur de flux RSS avec des sources en provenance de blogs, sites, micro-blogs, réseaux sociaux, un composant de curation pour le tri et l’agrégation de contenu rapide et un outil de publication.
Les outils se distinguent par la mise en forme des informations.
Il est possible d’établir des listes thématiques sur Twitter via Tweetdeck ou Seesmic, d’utiliser des agrégateurs de flux comme Sharp Reader ou Google Reader.
Parmi les outils [2] récents, plusieurs sont français. Signalons :
- Pearltrees [3], avec une interface innovante. Le principe consiste à transformer le contenu pertinent qui résulte de recherches ou d’archivages d’information en perles. Elles sont alors contenues dans son profil (arbre à perles). Les perles sont organisées à sa guise avec des liens en fonction des intérêts. Les résultats peuvent être synchronisés avec son compte Twitter pour un partage plus facile ;
- Scoop.it [4] est une plate-forme de publication de contenus qui permet d’indexer et de classer desinformations sur un sujet donné en vue d’un partage avec son réseau sur l’outil Scoop.it et également sur Twitter et Facebook. Scoop.it peut constituer une sérieuse alternative à Tumblr ;
- Paper.li permet de créer son propre journal sur le web en agrégeant des contenus sur Twitter et Facebook ;
- Storify qui concilie journalisme et principaux réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Flickr, YouTube) pour bâtir des histoires réunissant divers éléments multimédia ;
- Kweeper, Curated.by.
Notons que les réseaux sociaux ne sont pas en reste avec le lancement de LinkedIn Today et surtout le récent dépôt de brevet de Facebook utilisant la curation pour organiser les résultats d’un moteur de recherche [5] en partenariat avec Bing, le concurrent de Google.
In fine, la curation permet d’effectuer de la veille stratégique avec une simplicité de mise en œuvre.L’entreprise pourra y trouver un intérêt via le documentaliste de données qui animera des listes professionnelles en fonction de centres d’intérêts. La question sera celle du retour sur investissement même si l’activité n’est pas chronophage. La question de l’agrégation d’information en provenance de curateurs sur des thèmes connexes permettra d’aboutir à une sorte de méta-curation en faisant converger les idées ou les informations émises sur des thématiques données. À moyen terme, le fait d’ajouter une dose résultante d’un traitement humain dans les résultats moteurs de recherche permettra d’améliorer leur pertinence. Et c’est déjà rendre le web sémantique même si plusieurs expériences (Mahalo, Wikia, Yoono, Chacha) encore timides ont vu le jour.
[1] http://scobleizer.posterous.com/the-new-billion-dollar-opportunity-real-time
http://scobleizer.com/2010/03/27/the-seven-needs-of-real-time-curators/
[2] On pourra se référer à ce bon comparatif des plates-formes de curation :
http://socialcompare.com/fr/comparison/plates-formes-de-curation-md0synr
[3] Interview de Patrice Lamothe, P-DG et co-fondateur de Pearltrees : http://davidfayon.fr/2010/06/3-questions-a-patrice-lamothe/
[4] Interview de Marc Rougier, président et co-fondateur de Goojet et Scoop.it :http://davidfayon.fr/2011/01/marc-rougier/
[5] http://www.abondance.com/applis/pri...